La leçon de piano

Regarder un film de Jane Campion c'est accepter, un peu, de perdre la raison et de se laisser dérouter. On ressort de ce film moite et troublé, traversé par un mélange de concret et d'abstrait et ni l'un ni l'autre ne vous font de cadeaux.

La réalisatrice ne choisit jamais la facilité, tout en assumant ses (nos) plaisirs de cinéma : composer un plan où corps et nature semblent fusionner, créer des liens plastiques entre coiffure et forêt, associer un piano abandonné et le bord de mer déchaîné...ces images impossibles sont comme des cadeaux pour essayer de nous faire lâcher prise, de partir en cinéma, et cela fonctionne. Mais les plans sont aussi séduisants que les psychologies des personnages sont complexes.

Dans ce film, la nature est hostile, boueuse, c'est un territoire à conquérir mais déjà riche d'un passé mystérieux, tout comme le personnage principal du film, Ada. Et l'énigme est dans ce personnage, dans son silence subi. Tout au long du film on ne la sent pas muette, on entend les grondements sourds de ses mots comme s'ils étaient dans sa gorge, dans sa bouche, mais que quelque chose d'invisible les retenait, et au sortir du film, on comprend que ces mots sont certainement aussi dans la gorge de la réalisatrice et qu'ils ne peuvent sortir qu'en image et en sons. Reste alors, hors de notre compréhension, les sentiments d'Ada. Jane Campion en fait un personnage qui se fiche de nos attentes de spectateur, et pourtant, comme elle est à la fois incarnée dans l'écriture et par la réalisation, elle tient son fil de cohérence et on ne peut pas lui en vouloir, on la suit, l'interroge et l'accompagne. Commence alors un voyage dans la moiteur du paysage et la douceur des corps. Ce que l'on retient au final est la liberté de Jane Campion, ses mystères et obsessions, sa crudité et ses emportements amoureux, justement cinématographiques.

Faire l'expérience d'un cinéma qui développe un point de vue intransigeant dans une forme séduisante : c'est l'aventure que propose ce film.



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