Deux jours, une nuit

Le scénario des frères Dardenne est lumineux, le jeu de Marion Cotillard aussi, pourtant, l'un ne correspond pas à l'univers de l'autre. Il faut accepter de voir deux films en parallèle, presque deux histoires, passionnantes et incarnées.

La première : 
Sandra (Marion Cotillard) est renvoyée de son usine parce que ses collègues ont voté contre elle. Ils avaient le choix entre garder leur prime de mille euros et la faire licencier ou lui laisser son emploi et perdre leur prime. Sous la pression du contremaître, dix ont voté pour garder leur prime et deux pour garder Sandra. La veille d'un week end, Mireille, sa collègue, arrive à convaincre le patron de revoter lundi. Sandra va passer deux jours et une nuit avec nous, à la recherche des voix favorables de ses collègues.

La seconde : 
Sandra sort de dépression. Marion Cotillard respire la maladie, son combat, ses rechutes ; les cachets ne sont jamais loin, les larmes ravalées avec honte et colère pour ne pas pleurer devant les enfants et le sommeil comme seul moyen de rendre supportable une journée. La dépression est montrée avec pudeur et vérité, ce n'est pas un mal être expressif, elle l'a parfaitement compris. Mais c'est une maladie qui laisse des traces dans le regard, le souffle, et sur le corps.

On suit donc le film à ses côtés en se demandant constamment ce qui, dans son passé, a pu la mettre dans un tel état, or le scénario des Dardenne se joue en quarante huit heures, sans que jamais on ne retourne dans le passé de Sandra. L'urgence du temps et de l'histoire deviennent contradictoires avec la recherche du passé du personnage. D'où la sensation de trouble.

Sandra va donc passer son week end à trouver le courage d'aller frapper aux portes. Elle est souvent en voiture avec son mari...et l'esprit Dardenne est là : le personnage oublie sa ceinture...l'alarme sonne. Dans quel autre film entend-t-on une alarme sonner pour cela ? On sait que les personnages n'ont pas leur ceinture, on s'en fiche, on se dit que c'est du cinéma...mais chez les Dardenne, on ne plaisante pas avec le cinéma, on met sa ceinture (!), parce que la réalité est importante pour le spectateur et pour le personnage. Surtout, ces moments apportent au film son ancrage dans la réalité, son équilibre pour que la représentation de la solidarité soit crédible. Le film étudie ses multiples facettes : le don, la culpabilité, l'égoïsme, l'avarice, le partage, le sacrifice, mais sans lourdeur, par un mot, un geste, un regard ou un souffle, et on est désarmé, presque incrédule devant tant d'évidence de choix, de compréhension, d'absence de jugement de la part des réalisateurs. Il faut alors que des moments de réalité viennent presque nous pincer pour que l'on puisse y croire.

Au fond de son fauteuil on savoure aussi (une fois encore, mais quel plaisir) le slalom entre les clichés :  qu'un homme énervé parle mal à sa femme n'est pas une évidence, un mari absent le week end n'est pas forcément un coureur de jupons, le multiculturalisme n'est pas nécessairement un problème... Une grande sensation de sérénité domine, même si la dépression de Sandra irrigue tout le film, un grand écart tenu par les réalisateurs pour elle. Même sa tentative de suicide est traitée avec intelligence et légèreté (une scène désarmante, culte).

La fin est un exploit scénaristique, insoupçonnable.

Dernière bonne raison de regarder le film : Timur Magomed Gadzieh, guettez son apparition. Il est sur un terrain de foot, Sandra l'appelle, et on reste devant l'écran comme devant une apparition divine. On ne sait pas si les frères Dardenne ont une religion, mais ils croient en l'homme.

Ceci dit dans la voiture c'est bien "Gloria" qu'on chante...Glooooooria, G.L.O.R.I.A, version rock, mais Gloria tout de même.




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