Amnesia

Le paradoxe d'un film sur l'Allemagne se déroulant à Ibiza. Barbet Schroeder, réalisateur, raconte comment sa mère allemande décide d'émigrer après la seconde guerre mondiale. Elle habitera Ibiza,  loin du monde et près du bord de mer dans un paysage qui vaut tous les apaisements. Elle ne parlera plus allemand, élèvera ses enfants en occultant totalement cette langue, Barbet Schroeder ne parlera donc jamais sa « langue maternelle ». 

L'Histoire est à la fois enfouie et persistante. Un soir, un jeune allemand frappe à sa porte, il s'est brûlé la main et a besoin d'aide. Elle a plus de soixante ans, lui, à peine la trentaine. L'histoire d'amour est paraît-il platonique...en fait il s'agit d'une histoire de désir que le réalisateur ne semble pas avoir voulu montrer, peut-être par pudeur parce qu'il s'agit de l'histoire de sa mère, mais on sent tout le film qu'un corps en appelle un autre. Martha Keller est vivante, désirante et désirée, Max Riemelt est tendre, séduisant sans être séducteur. Le troisième personnage est le paysage, la nature, le bord de mer, la maison comme sublime fond de plan blanc, presque un tableau de Mondrian. Il fait beau, on pêche, improvise un barbecue mais sans boire de Riesling, parce que c'est un vin allemand. Lui est musicien, attentif aux sons de la nature qu'il enregistre à la tombée de la nuit et mixe sur son ordinateur. Elle a chez elle, comme une relique de son passé, un violoncelle dont elle ne joue plus. 

Au cours d'un repas familial le passé resurgit : « Comment vivre en portant le poids du passé de l'Allemagne?". Martha a choisi, elle est partie, Jo assume l'innocence de son âge, un passé qui ne lui appartient plus. Sa mère et son grand-père, légataires de cette Histoire sont les caisses de résonance du choix de Martha. Ils sont restés en Allemagne, elle comme médecin pour soigner le peuple, et lui, fabulant sa propre histoire pour la supporter. Tout les oppose à Martha, et Jo ne veut pas choisir. Grâce à lui, elle se réappropriera un peu de sa mémoire, réadoptera son passé.

On est à la fois dans l'univers de Manoel de Oliveira avec ses plans très construits et contemplatifs, accompagnés d'un soupçon de la profondeur des dialogues de Bergman. Le film est nourri d'une expérience du réel, une interrogation sincère sur l'Allemagne et son héritage, sur le choix d'une mère. En parallèle, on suit cette histoire d'amour que le réalisateur a voulu pudique mais qui ne résiste pas aux regards des personnages, un sentiment de corps sans cesse séparés après s'être touchés transpire tout le film, aussi apaisant et chaud que les paysages, les plaisirs d'un repas ou d'une musique douce.

Le film respire au final l'été, sa légèreté et sa profondeur, le chant des insectes à la tombée de la nuit, un peu comme ces soirs où on se dit que le monde est doux, et où, l'espace d'un temps, on se croit immortel.



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