Carole Matthieu

Que devient une société qui a rendu ses médecins inutiles?

Le film est inspiré du livre de Marin Ledun, "Les visages écrasés", il décrit la souffrance au travail dans les entreprises de télécommunication. 

On connaît déjà la brutalité du sujet, le film ne vous les fera pas découvrir : le monde managérial des plateformes téléphoniques. On sait déjà que les gens y sont rabaissés, infantilisés, mis en concurrence, que toutes les ficelles de la communication sont utilisées pour ne jamais remettre en cause la société qui les emploie. On y incite toujours et encore à la consommation, coûte que coûte il doit y avoir un Vendeur derrière chaque téléphone. 

Le film est fascinant parce que le personnage de Carole Matthieu, médecin du travail, montre à quel point son statut honorable, important, envié, peut être réduit au quasi néant au sein de ces sociétés...et par rebond faire trembler l'Humanité entière.

Le film emprunte des situations réelles tout en y développant des qualités cinématographiques poétiques très fortes : on ne sait jamais quelle séquence va succéder à l'autre, le réalisateur Louis-Julien Petit utilise des plans symboliques, expérimentaux, d'autres vides mais pourtant riches de sens, une narration décousue mais très sensible, un montage inventif, un souffle permanent de cinéma, de pensées en images et sons qui interrogent notre place dans ce film, dans cette Société.

Le médecin est celui qui soigne, conseille, guérit, écoute, et dans cette machine infernale de l'entreprise, on refuse ses arrêts maladie, on se plaint, souffre, on demande de l'aide mais sans pouvoir l'accepter. Etre malade est potentiellement être faible, et il ne faut pas l'être...pourquoi...? Où chercher les coupables...les patrons sont invisibles, les employés ne sont plus solidaires, combatifs. Ils alternent entre valorisations infantiles, médailles et cadeaux, rites de groupe et humiliations encore plus violentes...quelle est la société qui élève ses enfants avec la possibilité un jour, de considérer l'humiliation comme justifiable?

En face, pour le médecin, que devient la vocation de soigner? Que faire dans une Société si la place du soignant n'est plus possible? On suit Isabelle Adjani dans son combat, les bras presque baissés mais jamais son regard, épuisée finalement de ne plus servir elle aussi. Prise dans une toile d'araignée, elle est filmée avec un élan de cinéma profond, celui qui fait réfléchir, ressentir. Elle est au bord du gouffre...et effectivement, elle y est, au bord d'une carrière, regardant le trou béant devant elle, la dynamite explosant ses parois comme sa respiration sa poitrine, son cerveau.

Son jeu est concerné, fin, touchant. En filigrane, son visage si éloigné de celui que l'on a connu laisse imaginer que les pressions invisibles dont parle le film sont peut-être aussi celles qu'elle a pu connaître. L'Homme et le travail, entre nécessité et aliénation, plaisir et souffrance.

Un film comme une leçon de philosophie. Difficile de décrire autrement la pensée dans laquelle il nous emporte, un souffle qui interroge la Société, la peur de la voir un jour peut-être élargir le fonctionnement de ses entreprises à ses propres fonctionnements.

Si vous croisez un jour un étudiant en médecine, conseillez-lui ce film, il mesurera peut-être alors combien il doit autant à la société son rôle, son statut, qu'à ses difficiles années d'études.



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