Un film d'état (physique et
psychologique) : l'état de femme enceinte.
Étrange sensation de
suivre une histoire mais de sentir que l'essentiel est ailleurs : Audrey (Marina Hands) est enceinte. Elle a la
trentaine, est née en France mais est partie travailler à Toronto comme on fuit une famille dont on sait sans le dire les secrets trop
lourds. Elle est tombée enceinte sans le vouloir d'un « ami », parce que la vie professionnelle est à priori son seul intérêt, pas de couple, pas d'attachement, pas d'envie de famille. Elle arrive chez ses parents peu de temps après l'enterrement de son
grand-père, accueillie chez eux elle préfère finalement habiter la
maison en bord de mer que celui-ci a laissé à sa mort. Derrière
la gazinière, elle découvre un journal de recettes/journal intime
et se rend compte que sa grand-mère décrite jusqu'à présent par
sa mère comme une femme égoïste ayant abandonné ses enfants,
souffrait de dépression, était complètement étouffée par son
mari. Le film va dénouer le fil de ce secret, résoudre les question
laissées en suspens, bouleverser les relations de famille et apaiser
les relations compliquées d'Audrey avec sa mère (Catherine
Deneuve).
Filmer le bord de mer,
une maison incroyablement vintage et une fille perdue dans sa grossesse forme le trio réussi du film. Même si l'intrigue
tient, que les relations familiales semblent aussi être au cœur du
film, il s'agit bien de rester au plus près de Marina Hands, de ce ventre (qu'on ne voit jamais) et qui contient une vie. Audrey est hypersensible mais a une force intense, un sentiment de
liberté dénoué d’ego, cela la pousse envers et contre tous à aller chercher la
vérité de son histoire maternelle. Et elle va en baver de solitude...cette sensation humiliante et
injuste de sentir qu'on est seul sur le chemin de la vérité, du
choix du bonheur possible...c'est si rare de s'acharner à vouloir
être libre, à chercher une vérité.
Il n'y a pas un plan où on ne
sente pas ses bouleversements de femme enceinte. Le personnage est comme
dans un jeu de taquin, toujours à la mauvaise place. Petit à
petit, elle arrive pourtant à reconstituer son chemin : avoir un enfant,
pourquoi, pour qui, avec quelle place? Le grand absent du film,
l'enfant, affirme sa présence en perturbant le corps, les sens, la
psychologie d'Audrey, et par rebond, sa famille. Etre perdue mais
savoir que l'on est sur un bon chemin...ne ressembler à rien mais
être dans un flou qui vous définit enfin. Marina Hands porte des
tenues anti féminines, unisexes, pourtant, sa grossesse nous renvoie
tout le temps qu'elle est une femme et que son corps n'a longtemps
été ni un problème, ni un atout, mais qu'il devient soudainement
une présence affirmée, obligée, le lieu d'une histoire possible.
Quand le jeu d'une comédienne et un scénario profond se rejoignent,
l'aventure n'est pas forcément là où on pense : Julie Lopes Curval réussit à filmer un
indescriptible état, celui de grossesse.
On est hors-saison, et
c'est peut-être la description la plus juste de cet état. Si vous
aimez longer les bords de mer, vous raconter des histoires en regardant les maisons aux volets clos, dans le noir,
pendant une heure quarante cinq vous y serez.
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