Grave

Un Cinéma qui vient des tripes et qui veut y rester.

Une plongée cauchemardesque, étouffante, au parfum de réalité. La réalisatrice ne veut rien nous épargner, surtout pas de réfléchir, d'être touché.

Dans un premier degré, impossible à tenir finalement, on est devant un film qui saigne, sue, gratte et vomit un peu, mais qui dépasse tout cela. Il nous renvoie à une part de nous-même, insidieuse. Celle qui nous travaille, nous demande sans cesse de faire des choix, d'aller chercher en soi ou chez l'Autre la dimension Humaine, ou pas...

Qu'y a-t-il dans la tête de Julia Ducournau pour écrire et réaliser un tel film? Pas de limites, pas de tabou, mais un sens infiniment réfléchi du montrable pour que rien de gratuit ne soit convoqué, rien que l'on n'ait pas véritablement déjà vu ou imaginé, mais jamais dans un condensé aussi fort et maîtrisé.

Une culture cinématographique certaine (Sofia Coppola, Stanley Kubrick, David Cronenberg, les Frères Coen...), des choix de réalisation assumés et une bande son qui veut rester dans le ventre. L'ensemble impose de prendre son souffle avant chaque séquence. Passé le premier tiers du film on entre dans un état de malaise, comme en bas d'un grand huit...ça monte, ça monte...amène à un point limite de tolérance visuelle et conceptuelle. Il est question d'obéir, d'assouvir, et de "dévorer" la chair. A la fin de la séquence on espère souffler et dès le premier plan de la suivante, de nouveau le malaise...mais la trame qui sous tend le film en fait le sens, elle est réfléchie, intransigeante avec le spectateur, donc on reste.

Tous les éléments de l'histoire sont nécessaires pour mettre l'Homme en face de lui-même, de la société, de son obéissance, de l'abandon de son libre arbitre et de sa conscience d'être différent d'un animal (ou pas...).

Justine fait sa rentrée dans une école vétérinaire. Végétarienne, le bizutage lui impose un bain de sang et le gobage d'un rein de lapin. Son corps réagit, gratte, suppure...l'appel du sang devient plus fort, il faut le goûter, le regoûter, entrer dans le rang et se noyer dans les cours, côtoyer les cadavres d'animaux, les entrailles, les échographies, aller au bout de ce que l'on peut voir sous les peaux, or, si la nature a recouvert de peaux et de poils les êtres humains et les animaux, c'est parce qu'ils ne sont pas que de chair. L'homme est forme, figure, corps et âme; tenter d'approcher la chair au plus près n'amène pas plus près de l'Homme. Justine découvre ce monde violent et l'anesthésie que tente le bizutage n'est qu'une autre forme de violence...on découvre finalement que l'Homme est le premier à se condamner génétiquement, socialement...

Grave l'est, c'est un film d'entrailles...le constat aussi d'une certaine désespérance, mais la réalisatrice ne s'en accommode pas pour autant. Elle la soulève, soupèse, et finit dans une pirouette comique, comme au sortir d'un cauchemar.

Attention, film abstrait, à voir absolument comme tel. C'est bien du Cinéma.


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