Où va la nuit


Après l'avoir fait tourner dans Séraphine, Martin Provost retrouve la comédienne Yolande Moreau ; un plaisir cinématographique partagé et communicatif. Une belle énergie se dégage de ces retrouvailles, elle suffit pour apprécier ce film, inégal mais intéressant.

Adapté du roman « Mauvaise pente » de Keith Ridgway, prix Femina 2001, le film raconte l'histoire de Rose, femme de paysan. En dire plus ne serait pas spoiler mais résumer une histoire à ce qu'elle n'est pas, un fait divers. Le film est davantage une expérience cinématographique tournée vers le personnage de Rose (Yolande Moreau) qui vit deux drames, en subit bien d'autres et décide de prendre sa vie en main sans culpabilité ni remords.

Le montage au début du film est compliqué : passé, présent, ellipses floues...mais sa grande qualité est d'appeler le spectateur, de ne pas lui laisser le temps de juger ou de comprendre. On prend de plein fouet le choc de la première séquence et la vie de Rose qui se met en marche. Le personnage ne veut pas de nous, ne nous donne rien, il a fait ses choix, les assume, nous laisse le regarder en nous contaminant doucement. On ne pénètre pas le regard de Yolande Moreau, son armure épaisse, sa vie difficile empêchent de laisser passer la lumière. On suit son corps lourd, ses cheveux dénoués et renoués, ses tenues trop larges et un rêve qui tient dans une valise.

Les couleurs du film sont le gris, le vert et le bleu, tonalités des eaux troublées du bain que prend souvent l'héroïne pour oublier ou se retrouver. On pense aussi aux tableaux de Juan Gris, Agnès Godard est la chef opératrice, le film lui appartient sans doute autant qu'au réalisateur.

Martin Provost crée un puzzle cinématographique, il convoque Alfred Hitchcock, Manoel de Oliveira, les frères Dardenne et la musique lancinante de Wong Kar Waï. Envoûtante, persistante, presque dérangeante mais surtout signal des choix insondables du personnage, on craint ses premières notes et en même temps elle nous rassure, devient le repère de la psychologie de Rose.

Les plans sont aussi minutieusement construits, le réalisateur cite la peinture japonaise et la place qu'elle donne à l'homme dans le paysage, un point perdu, contemplatif, comme Rose lorsqu'elle arrive à Bruxelles.

C'est sans doute la sensation principale qui se dégage du film : la contemplation. Parabole sur la culpabilité et la famille, les personnages servent la réflexion, l'interrogation sur les limites de ce que l'on peut subir comme violence, sans que le réalisateur s'autorise vraiment à la montrer, à s'y attarder. Il enivre le spectateur du personnage de Rose, de son parcours solitaire, solaire. On se demande finalement s'il ne considère pas Yolande Moreau comme un paysage à contempler, arpenter, affronter.

Un film pour inconditionnels de l'actrice,

pour cinéphiles qui aiment être au bord du chemin.



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