Zéro de conduite

Une injonction lointaine, comme un plaisir désuet. On est en 1933, le film dure 44 minutes.

Apnée dans une année scolaire en internat, entre solitude et chahut.

C'est étrange comme un film jamais vu peut sembler vous appartenir.

Il a le charme et les douleurs de l'enfance, le pouvoir du rêve et l'ambiguïté des souvenirs. Les enfants sont parfois "culs nus", les adultes caricaturaux, les gens importants tout petits : le regard de l'enfant sur son monde est aux commandes, c'est un parfum que l'on connaît, retrouve...comme l'envolée de plumes lors de la bataille de polochons dans le dortoir...quel plaisir...

Oscar Wilde disait que la Nature imite l'Art, ici nos souvenirs imitent les séquences de Jean Vigo.

On regarde le film comme on parcourt un livre, avec l'impression de sauter des pages. Vigo ne veut pas de l'exactitude du récit, il préfère la vérité subjective de la mémoire, peu importe...on prend la lumière, douce et englobante, les cadrages enthousiastes, les têtes d'enfants qui sont les nôtres, les moments de poésie et d'humiliation, l'énergie de dire "Non!", de dire "Nous". 

Le film a été censuré de 1933 à 1945 pour "dénigrement de l'instruction publique" et esprit "anti français". Douze ans à ne pouvoir être vu qu'en ciné club, c'est dire son pouvoir subversif (il y a moins de cent ans pourtant). En 2018, le film a perdu cette saveur de soufre mais garde la tristesse de l'enfance sans parents, la cruauté de la différence, la place de l'adulte et l'abus d'autorité mais aussi le fantasme de la collectivité et de ses emportements joyeux. Il conserve aussi le pouvoir de l'imagination, celle qui transforme chaque chose en jouets, en jeux, en moments de bonheur.

Et je vous dis Merde!
Probablement la première réplique scandaleuse du cinéma parlant. Une parole qui claque dans le plan, un courage d'enfant encore très puissant.

"Zéro de conduite" est un bonbon au réglisse, séduisant et amer, encore un peu fort. Il y avait le Zan dans les années 80, en 2018 il reste "Zéro de conduite".