L'ange bleu

Un film en noir et blanc, comme une boîte à trésors que l'on ouvre pour remonter le temps : les décors expressionnistes distordus, les lumières inquiétantes, le clair obscur qui sculpte l'espace autant que les pensées des personnages. Un ancien monde où tout est merveilleusement faux et artificiel.

Un vieux professeur de lycée tombe amoureux d'une danseuse de cabaret, Lola-Lola, il l'épouse et se fait donc renvoyer de son lycée, s'en suit une des déchéances les plus humiliantes du cinéma. Si le terme "donc" de la phrase précédente vous paraît comme une évidence...c'est que vous êtes peut-être resté dans les années 30. Regarder ce film en 2019, c'est percevoir que le fameux "donc" n'est pas une évidence mais un jugement reposant sur un cliché. En effet, le réalisateur ne blâme pas tant la vie de l'épousée que les mentalités de l'époque, capables de renvoyer un professeur parce qu'il vit avec une femme de cabaret. Nulle invention dans cette analyse, le dernier plan du film nous le montre, c'est bien parce qu'il n'est plus professeur qu'il a perdu son âme.

Autre cliché démenti...Marlène Dietrich n'a pas un corps de rêve, longiligne. C'est une jolie femme charpentée...à vrai dire...un physique commun joliment mis en valeur.

Quant au film,  il a des airs de conte vénéneux :  transitions en fondu croisé,  histoires d'oiseaux morts ou chantants,  horloge magique...Sa poésie tient aussi à ses personnages secondaires : le clown triste du cabaret, le bon élève chahuté par ses camarades, une ambiance pré "Zéro de conduite"...des films dans le film, des apparitions sorties d'une peinture de Picasso ou d'un portrait prémonitoire de Jean Vigo.

C'est aussi un régal pour les yeux : pas un centimètre d'espace qui ne soit pensé, réfléchi, empli d'éléments de décor sensibles, incongrus ou métaphoriques. Même si l'histoire est finalement assez vite comprise, on peut savourer chaque parcelle de l'image, d'un plan à l'autre réenchantée, poétisée.

Le film est nécessaire pour comprendre enfin d'où nous viennent ces images que l'on connaît par cœur mais dont on ignore les origines : les toits distordus d'une ville la nuit, les ombres projetées qui jouent à nous faire peur.

Tourné en 1930, alors que le cinéma est tout juste parlant, le réalisateur Josef Von Sternberg comprend déjà qu'au-delà des dialogues les bruits sont importants : fermez une porte et vous laissez entrer le silence, ouvrez-la, et les bruits du monde viennent vous raconter autre chose.

Le film est la démonstration que le Cinéma convoque l'espace, le temps et les sons. Il les emplit d'émotions et d'objets au moins aussi importants que le récit. 

Regarder ce film c'est à la fois faire un bond dans le passé, observer son présent et guetter son futur.

Un film comme une boule à neige qui cacherait son secret : un filtre d'immortalité. 





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