Secrets et mensonges

Un film d'actrices, Brenda Blethyn et Mariane Jean-Baptiste, l'une blanche, l'autre noire, l'une mère retrouvée, l'autre fille abandonnée. 

Si le film travaille l'idée que les secrets et mensonges gâchent les vies, Mike Leigh le réalisateur va bien au-delà et réalise un portrait de femme d'une justesse, d'une humanité et d'une rigueur hallucinantes. Une expérience troublante de spectateur.

Il faut avoir 2h20 devant soi, la patience d'attendre la fin de la présentation des personnages, un peu longue, pour entrer dans un voyage psychologique et physique incroyable de complexité et de pertinence, de temps suspendu et de questionnements. Mike Leigh donne à ses plans la durée nécessaire pour dégager le spectateur de tout ce qui pourrait le parasiter (un raccord, un élément de décor, un son inopiné...) et nous rend de ce fait attentif, voire soumis au moindre clignement d'yeux des personnages, aux silences habités et aux oscillations millimétrées des voix. Un monde infra cinématographique s'ouvre alors, celui de la plongée dans un personnage, la mère, qui tient d'une sorte de miracle.

Hortense a été abandonnée à la naissance, elle est noire et découvre dans son dossier d'adoption que sa mère, Cynthia, est blanche. Elle prend contact avec elle une fois adulte et c'est la vie de Cynthia qui va basculer, ses solitudes, ses relations compliquées avec son autre fille, son frère et sa belle-sœur.

Voyage au pays des familles où l'on ne pose pas de questions, où le conseil d'une mère célibataire à sa fille est de ne jamais tomber enceinte. Alors oui, il y a des poncifs sur la difficulté d'élever seule un enfant, sur la douleur d'un couple qui n'arrive pas à en avoir, sur les études qu'on abandonne trop jeune, la tentation de l'alcool comme refuge, la difficulté du monde adulte...mais le réalisateur laisse ses actrices y développer une telle complexité et finesse de jeu que l'on va bien au-delà. On reste comme suspendu devant le quasi plan séquence d'une conversation dans un café, assis face aux deux personnages féminins, à la merci du millième de seconde où le regard du personnage devient trouble et révèle, sans le dire, un souvenir revenu des limbes de sa mémoire. 

Mike Leigh sait où mettre sa caméra, on se sent accueilli dans son film non comme voyeur mais comme témoin attentif. Les plans sur les visages sont si précisément travaillés que le spectre d'Ingmar Bergman n'est pas très loin; il se dégage d'eux une sorte d'ontologie du sentiment, la perception des sédiments du secret sur la peau et la présence de l'Autre dans ses propres réflexions.

Même si le repas de famille est un incontournable pour le réalisateur et que les secrets s'y révèlent, on est loin du "Festen" de Lars Von Trier, pas de trash chez Mike Leigh, les histoires de famille ne finissent pas forcément mal. Mais happy end ou pas, on sort assez bouleversé du film, pas tant pour son histoire que parce qu'il révèle la puissance d'incarnation du jeu au Cinéma, le rôle de la mise en scène et la vérité psychologique qui s'en dégage. Autrement dit, parce que Cynthia nous glisse sous la peau longtemps et qu'elle est un remède à nos contradictions, un écho à nos manques d'amour.

Prix d'interprétation féminine à Cannes pour Brenda Blethyn en 1996, palme d'or pour le film. Pas d'hésitation, la première récompense est amplement méritée.


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