Une grande fille

Aussi subjectif que cela puisse être : quelle beauté!

Beauté plastique, film impressionniste, ou, quand le cinéma peut atteindre des profondeurs insoupçonnées de finesse, de poésie et d'Humanité.

Film russe de Kantemir Balagov réalisé en 2019, et l'on se dit que tous les paradoxes peuvent cohabiter pour nous emmener sur les chemins de la Grâce : 

Le contexte terrible : 1945, Leningrad ravagé et la vie qui persiste.
L'histoire affreuse : deux filles dont l'amitié survie à l'infanticide et l'attachement viscéral à l'Autre, à son épanouissement.
Un décor désespérant : les ruines d'une ville souffrante, et le magistral, touchant et sublime décor tout en nuances vertes et orangées.

"Une grande fille" se regarde comme une peinture, chaque parcelle de l'espace respire l'humanité et la couleur. La chef opératrice Kseniya Sereda tient le film dans une lumière époustouflante qui berce la vie des personnages et porte tout l'espoir du film.

L'espoir, parce que le contexte historique est terrible, mais pas une seule fois l'image ou le son n'ajoutent à l'atrocité du concept des situations, pas d'images crues, difficiles, les situations et dialogues se suffisent pour qui plonge dans le film. La caméra est en permanence à hauteur d'Humanité et les comédiens sont si justes, incarnés, que l'on sent le film porté par cet esprit de consolation.

Comment les survivants de la guerre, les presque fous, les abîmés, les désespérés, un jour peut-être vous et moi, restent debout, avec dans le regard juste une envie, un appel à l'Autre.

Chaque séquence est un paysage mental à découvrir, chaque plan est une proposition de laisser-aller dans l'espace, la lumière, les couleurs et les personnages. Le réalisateur est sans doute un artiste complet, il filme comme il pense, comme il ressent ; il maîtrise à la fois l'image et le son, mais aussi, surtout, la place et la hauteur à laquelle il guide le spectateur dans son film. Une distance infiniment pudique et pourtant très profonde, concernée.

Un film sur l'Humanité dans ce qu'elle a de plus précieux, sa fragilité, son dénuement et sa faim de l'Autre.

Comment peut-on proposer un film aussi solaire sur un sujet aussi terrible? Il faut être revenu de loin, avoir un égo infiniment juste, ni au-dessus, ni au-dessous de l'Autre.

Le film tient en haleine sur les folies des personnages, folies tangibles, folies d'espoir, folies d'amour, et sur l'ontologie du cinéma : l'image et le son à la rencontre de l'Autre.

La force tient également à ce que l'on ne nous assène pas une histoire à comprendre mais des vies à rencontrer, des tissus à toucher, des couleurs à ressentir, des humains à contempler. Les personnages sont tellement incarnés que quelques séquences relèvent de la performance filmée, notamment la scène de la robe verte où tout est dit dans son tournoiement.

Pas de jugement mais la proposition, deux heures durant, d'être aussi là-bas, dans ce vert et ce orange aussi doux et incandescent que les cœurs des personnages. Un voyage abyssal et lumineux.


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