Hôtel du Nord

Un film de 1938 et l'impression de comprendre tout à coup l'expression "Arrête ton cinéma". En faire trop et ressentir dans ce "trop", justement, l'endroit où  se trouve le Cinéma. L'histoire est celle de deux couples qui vont se croiser, chacun à leur manière, portant peu d'espoir sur leur avenir.

Il y a surtout Paris, vivant, avec le portrait d'une époque comme on l'imagine. D'ailleurs, c'est peut-être grâce à ce film qu'on l'imagine ainsi, joyeuse, besogneuse, aride, parfois cruelle mais vivante. Il est des films qui transforment notre regard sur la réalité, le Paris de Marcel Carné est de ces images et sons qui forgent une vision encore persistante.

Rien ne cède à l'envie de faire "trop", trop d'emportements, de disputes joyeuses, de sentiments retenus, d'exaltation des corps. Mais un trop qui sonne étonnamment juste, certainement parce que la mise en scène est à rebours de cet emportement ; elle est couvrante, protectrice et le travail de la lumière caressant. Une époque où même survivre à une tentative de "suicide" n'empêche pas d'avoir le visage rayonnant de lumière, les yeux et les lèvres brillantes, c'est cela "faire son cinéma", en faire trop, mais pourquoi pas. Et quand tout sonne "trop", on comprend qu'il y a un ailleurs à aller chercher, que ce qui nous est montré est une porte pour aller dans un au-delà du visible où se trouvent les sentiments, l'incompréhensible de l'humain et de ses relations, ses prises avec ces forces qui nous submergent. "Hôtel du Nord" se regarde comme on regarde un décor de théâtre, en sachant que tout est faux mais que tout sonne juste, parce que le guide qui nous accompagne, le réalisateur, est sensible, bienveillant.

Il y a l'incontournable réplique "Atmosphère, atmosphère, est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère?" et l'accent d'Arletty qui l'est tout autant. Avec Prévert aux dialogues, le sillon se creuse, si les comédiens n'étaient pas dans ce fameux "trop", impossible de les rendre crédibles...tout en sachant qu'ils ne le sont pas, c'est là un des paradoxes du film, un second le rejoint, son lien intime au sentiment de vérité sous une apparence pourtant anti naturelle.

Il s'agit d'un film d'une autre époque, d'un autre Paris, avec des acteurs justes dans ce "trop" et qui, dans la magie d'un noir et blanc caressant, des tenues impeccablement propres et repassés pour un quotidien difficile (troisième paradoxe) nous susurrent à l'oreille qu'une histoire d'amour est toujours une découverte, qu'il faut y aller.

En filigrane, alors que nous sommes en 1938,  dans une fin de séquence un peu comme une porte qu'on entrouvre, apparaît l'idée qu'un jeune homme puisse aller à un rendez-vous amoureux avec un autre homme. Il est donc bien question d'amour dans le film, et qu'importent les apparences, sur l'écran noir comme un songe éveillé, on comprend que chacun cherche son invisible, près d'un Hôtel du Nord en 1938 ou ailleurs, en 2021.


Commentaires

  1. Merci à la chroniqueuse qui me donne envie de voir ce film à la réplique mythique.

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