Séraphine

Il est des films comme des lieux de miracle. Les décors, le scénario, la lumière, le casting, le montage, tout concourt à rendre ce film au plus près du sentiment qui a dû l'inspirer : celui du réalisateur Martin Provost envers le personnage de Séraphine.

Femme de ménage au début du 20ème siècle, Séraphine est appelée par les anges à faire de la peinture. Sa vie tourne alors autour des corvées ménagères et des astuces pour financer son coûteux appel vers la création. Sa rencontre avec un mécène collectionneur d'art allemand la rendra un temps célèbre, puis moins, puis, crise oblige, plus du tout.

Ce qui reste, une fois le film terminé est un souffle, celui de Séraphine face à sa peinture, celui de la création, du collectionneur-critique-mécène (qui incarne ce fil qui vous tient quand vous avez saisi la force de l'Art) et celui de chacun des plans du film. Avec, et c'est assez rare pour le souligner, un montage dont on sent le souffle, comme celui qu'il y a au moment où on tourne les pages d'un livre. Alors que le montage est à la fois puissant et non artificiel, le monteur (Ludo Troch) propose entre chaque plan son souffle, son envie d'entrer le plus subtilement et profondément dans ce qu'il a compris de la vie de Séraphine. Toute la palette des raccords y est réfléchie, souvent choisis par analogie ou de manière sémantique, ils permettent au spectateur d'être également acteur du film, d'y être accueilli et invité. C'est un régal de les observer, de s'y laisser prendre comme par une main qui vous est tendue pour parcourir le film à la fois en tant que spectateur mais aussi avec Séraphine.

C'est un personnage qui a réellement existé, le film se refuse d'en être le biopic et effectivement, c'est autre chose qu'il cherche à cultiver, à mettre en place, à exprimer : l'indicible qui vous pousse à sortir de votre condition, de ce dont vous pensiez être l'héritier ou le destinataire. Une vie comme un court circuit, un malentendu...ou plutôt, un "autrement entendu", les voix, le souffle, la force qui pousse Séraphine à peindre.

Les cadrages sont au plus près des intentions également, beaucoup de gros plans sur les mains, les objets, les outils, le visage de Séraphine, mais avec une distance et des axes chaque fois discrets, sensibles.

Yolande Moreau est troublante tant son personnage est pleinement ce que l'on pense savoir d'elle en tant qu'actrice. On ne sait plus si on regarde Séraphine en Yolande Moreau ou l'inverse.

Son corps massif est léger, il peut être pataud tout autant que déterminé, souple et gracile. Elle n'est peut-être pas "la" Séraphine mais c'est une Séraphine, celle qui a dû croire, comprendre que le personnage était un rôle incroyable de force et d'émotion, de retenue et de dévotion. Elle reste un mystère tout au long du film en affirmant paradoxalement sa présence à l'écran de manière très forte, intériorisée.

Le film appartient à chacun de ces faiseurs, et comme on se penche sur un berceau avec des intentions identiques, Séraphine, qu'elle se reconnaisse ou non dans le film, reconnaîtra sans doute ce qui se produit rarement mais qui est magique : un alignement d'étoiles créatives, l'envie d'une équipe de défendre et d'assumer les fragilités et forces d'un personnage.

Tout le casting principal s'est également penché sur le berceau, Ulrich Tukur, Anne Bennent et Serge Larivière proposent un jeu tout en écho avec celui de Yolande Moreau.

On regarde Séraphine comme on lève la tête vers les étoiles, sans forcément comprendre pourquoi, juste parce que c'est beau et que cela vous appelle.

Sur Arte TV jusqu'au 21 septembre 2021.


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