Bergman Island

Réalisé en 2021 par Mia Hansen-Love, "Bergman Island" raconte l'histoire d'un couple de cinéastes se rendant sur l'île de prédilection d'Ingmar Bergman, réalisateur suédois, afin d'écrire chacun leur film.

Le cinéaste est mort en 2007 et plane sur cette île un revival permanent de sa vie, de ses films.

Pourtant, et c'est une prouesse de la réalisatrice, le film n'est ni dans l'hyper présence ou l'adulation de Bergman, ni dans son dénigrement. Bergman a fait des films forts, psychologiques, a filmé les visages comme personne, et dans sa vie privée, c'était un être probablement égoïste, ne s'étant occupé que peu voire pas de ses neufs enfants, entre autre. Pour qui sait y être attentif, ses films psychologiquement forts témoignent de cette ambivalence, d'un univers misogyne le plus souvent culpabilisant ou d'une vision torturée des relations entre les hommes et les femmes. Mais on aime les films de Bergman comme on aime, quelques fois, se faire du mal, l'essentiel étant d'en être conscient.

Mia Hansen-Love, elle, choisit de laisser infuser toute la richesse de ses réflexions face à aux films de Bergman.

Elle filme comme on se chuchote des secrets à l'oreille, elle semble nous dire "Regarde bien, souviens toi", et viennent alors pour le spectateur mille et uns ressentis de sa propre vie de couple, des souvenirs de ses amours adolescentes, des choix qu'il a faits, contraint ou volontaire, pour s'apercevoir que l'élan du premier amour peut disparaître ou se transformer, qu'un autre peut naître, que celui que l'on a pour l'enfant en est un nouveau...De loin ou de près affleurent les affolements des cœurs amoureux qui désormais se taisent, se retiennent.

On pourrait croire que le film fait écho à de nombreux films de Bergman mais c'est faux, il fait écho à ce que Bergman a pu toucher de précieux de la vie dans ses films, les amours inconditionnels, les grandes douleurs...

Associé à son propre vécu, à ses réflexions, elle laisse au spectateur le choix de ses ressentis et propose un film à trous ; la structure est là, les références aussi, Bergman biensûr, Rohmer également, mais la liberté est entière pour le spectateur d'interpréter ses choix et ceux de ses personnages.

Le couple sur l'île est-il en perdition ou fort de ses années d'amour? Les amours de jeunesse sont-ils là pour être regrettés ou pour n'être gardés qu'en souvenir d'une période instinctive et peu raisonnable? Un enfant est-il la source d'un amour renouvelé ou une perdition pour le couple? La réalisatrice a la finesse et la pudeur de poser ces questions tout en ne donnant aucun point de vue. Elle filme la lumière des paysages, les instincts des décisions, les corps qui dialoguent ou non, les folles envies de danser et les vides de silence.

La force de sa réalisation est d'osciller entre l'hyper réalisme et le subjectif le plus entier. Par exemple, quelle est l'utilité de la voix du GPS au début du film? Elle ne peut pas être là uniquement pour guider le couple sur son chemin, d'un point de vue scénaristique, cela ne se justifie pas, à moins qu'il ne soit question d'un premier artifice de communication dans leur relation, ou s'agit-il encore d'autre chose? C'est troublant, mais habilement enchaîné au sublime des paysages et des espaces, on la suit.

Sa pensée est sinueuse mais lumineuse, naïve et réfléchie, elle semble nous dire :  "A vous de faire, de compléter, d'inventer, de ressentir". La réalisatrice fait à peine confiance à ses images et à ses sons, mais elle semble faire totalement confiance à ses spectateurs. On se sent alors infiniment libres tout en étant entourés d'immenses attentions.

Le couple du film doit aussi broder avec ces silences et à force de ne rien se dire, finit par aller à l'essentiel : que nous reste-t-il d'amour, est-ce suffisant?

La fin du film est une nouvelle suggestion, habile, fragile, susurrée à l'oreille du spectateur : "Je ne sais pas moi non plus, je m'interroge, merci d'avoir été là".

Un merci qui lui est rendu : un film comme une dentelle de pensées, fragile et lumineuse.

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