Les fleurs bleues

Un film d'Andrzej Wajda, réalisateur polonais, sorti en 2016.

L'histoire d'un peintre polonais, Wladyslaw Strzeminski, qui a vécu dans la Pologne d'après-guerre. Célébré, précurseur, il a travaillé avec Malévitch, Mondrian, renouvelant les pratiques et théories artistiques, picturales, dans les années 40.

Le film raconte le moment où la Pologne bascule dans sa phase stalinienne, à partir de 1948, et devient rapidement une dictature qui ne permet plus à Strzeminski d'enseigner à l'école d'Arts Plastiques de Lodz.

Il a été amputé d'une jambe et d'un avant-bras pendant la précédente guerre mais continue de peindre, enseigne, donne des conférences qui font la réputation de son école, provoquent la fascination de ses élèves.

Le cinéma de Wajda est particulier, il n'y a pas de prouesse d'images, le scénario est assez fragmentaire, il enchaîne les séquences fortes de la vie de ce peintre, sa perte de travail, de reconnaissance et de dignité, pourtant le film est très profond, ancré dans l'Histoire comme dans ses personnages. On comprend vite comment les choses vont évoluer mais la force du film tient dans un invisible, celui de la politique stalinienne qui broie tout sur son passage, toutes différences d'être, de pensée. 

Le film permet de comprendre à quel point ce qui n'est "rien", une image, une peinture, une posture, une vision différente du monde peut provoquer la haine la plus profonde, mener à la destruction. Penser le monde en dynamiques géométriques, ramener un paysage à sa ligne, à sa couleur, autant de choses qui paraissent inoffensives mais que le film montre, avec brio, comme étant insupportables pour un régime non démocratique. Soudainement, on mesure en quoi l'Art est un gigantesque souffle, indispensable à toute démocratie, et comment, de lois en règles absurdes, de textes en définitions de ce que doit être l'art, on en arrive à broyer une pensée, un homme.

Plus de statut, donc plus de travail, plus de travail, donc plus d'argent, plus d'argent donc plus de statut...la fragilité du corps et de l'époque s'y ajoutant, la fin n'en est que prévisible.

Pourtant, on suit le film avec intérêt, notamment grâce à un personnage secondaire, la fille du peintre et de sa femme (l'artiste célèbre Katarzyna Kobro) : la fille au manteau rouge qui saisit tout et ne laisse rien transparaître du drame qui est à l'œuvre.

Le film sourd de ses absences d'images, jamais on ne voit l'ex femme, ni de démonstrations politiques lourdes ou appuyées. On voit un peintre qui travaille, assis sur le sol, persiste à ressentir, exprimer sa vision de l'art, tout en voyant le piège se refermer sur lui. 

Et l'on comprend au détour de quelques séquences, la puissance du mouvement néoplasticiste, comment des lignes droites, des couleurs pures et l'absence de volonté de figurer dérange, perturbe, déplace le centre de gravité de nos habitudes, jusqu'à rendre les pouvoirs autoritaires fous. Alors on renverse, détruit, efface...une puissante démonstration des limites de l'égalité absolue, celle qui broie la différence, l'expression individuelle et qui permet de comprendre en quoi isoler la Liberté, l'Egalité ou la Fraternité de leurs interdépendances permet au gouvernement, doucement puis violemment de basculer dans la dictature.

La poésie est un autre fil conducteur du film, elle lui donne son titre, et le film se clôt presque sur l'autre versant de ce qui guide, renforce, galvanise un artiste, l'amour, tout simplement.

Un film précieux comme un témoignage de l'attention à porter aux artistes, précieux aussi pour comprendre jusqu'où l'art peut être signe de démocratie.

Une occasion aussi de se laisser à nouveau déranger, bouleverser par le néoplasticisme, un art à la fois froid et bouillant, une tentative encore non aboutie de faire se rejoindre l'art et la vie.



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