L'événement

Un film d'Audrey Diwan sorti en 2021, l'adaptation du roman éponyme d'Annie Ernaux.

Une étrange aventure cinématographique auprès d'une cinéaste aux partis-pris indéniables : "Je ne vous demande pas d'aimer mon héroïne, elle n'a pas besoin de vous, elle a besoin d'avorter".

Et tout le film est en ce chemin, on reste à côté de la protagoniste, impénétrable, dans un contre la montre pour avorter dans les années 60, à une époque où cela menait en prison.

Un film comme un tract posé sur une table de nuit, pour se souvenir qu'obtenir le droit d'avorter a été conquis, presque arraché à une société contrariée (à minima) par ce désir.

Le film est paradoxal, il va vite, à l'essentiel, et pourtant l'attente de la réussite de la démarche est longue, réussite difficile, douloureuse, mais là aussi, parti-pris surprenant de la réalisatrice, vous partagerez à peine la douleur et les difficultés du personnage, vous êtes spectateurs, resterez spectateurs, cette histoire ne vous regarde pas, c'est celle de la solitude d'Anne, en proie à ses désirs, de sexe, d'études, et, sans pathos mais avec fougue d'une nécessité d'avorter.

Un peu comme Lazlo Nemes, le cadre, le point de vue enferment le personnage tout en mettant à l'écart le spectateur. On suit, passif, comme mis sur le côté, cette histoire d'urgence d'avortement. Nul jugement de l'héroïne, nulle culpabilité du sexe, le film commence, tout est déjà fait, vécu, parce que c'est comme cela, normal, le sexe d'une époque contrariée, celle où désir et parentalité allait de soi, où la responsabilité du rapport était en grande partie féminine.

Alors chaque séquence du scénario apparaît comme autant de précieux cailloux mis sur le trajet du spectateur, comme des indices de non évidence, d'interrogation...les docteurs compatissants, ceux culpabilisants, les copines présentes, ou lointaines, les amoureux concernés, ou non, les professeurs investis, défaitistes.

Seule trajectoire lisible, affirmée comme chevillée au corps d'Anne, être soi, et trop jeune pour l'être avec un enfant.

La réalisation est une prouesse de décisions, d'affirmations, l'actrice est de tous les plans, la caméra avec elle, on pense aussi à Marion Cotillard chez les Dardenne (avec le marcel rose), on sent une fougue de jeu et pourtant une absence totale de volonté d'empathie, comme si le film n'était pas là pour nous faire comprendre, ou ressentir, mais, juste, assister. Comme on assiste à un inéluctable, comme si, punis de ne pouvoir aider la jeune femme, on assistait, aussi impuissant qu'elle à son parcours dans une époque révolue...on espère.

Le film ne tombe pas non plus dans le travers didactique, le souffle de l'écrivaine est là, c'est juste un moment de partage, d'assistance, de constat.

Et bien que mis à l'écart de cette histoire, le film reste, infuse, comme un moment qui explique bien des non-dits des familles : avoir un enfant, trésor ou poison, trésor et poison. Moyens de contraception et légalisation de l'avortement ne semblent pas être arrivés à bout de ce questionnement.

Le film en est un précieux moyen de réflexion.

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