Border

Un mélange entre "Shrek" et "Rosemary's baby", ou, quand l'incongru rencontre le maléfique.

Tina est une jeune femme étrange physiquement, dotée d'un sens particulier, elle renifle le Mal. 

Elle travaille sur un bâteau en Suède, au contrôle des passagers qu'elle "sent" suspects au sens propre. Ne supportant pas la solitude, elle s'est mise en couple avec quelqu'un qu'elle sait profiteur et seul son père vieillissant lui apporte du réconfort.

Petit à petit, elle comprend que son physique ainsi qu'une étrange cicatrice dans le dos sont les signes d'une appartenance particulière, sa rencontre avec un "autre" qui lui ressemble le lui confirme.

Rapidement, on pourrait croire que c'est une histoire d'amour entre deux personnes "moches" physiquement, les plans et prothèses des acteurs nous y incitent, le tout dans un décor poisseux, avec un contexte qui l'est tout autant. L'intérêt du film est bien ailleurs, dans cette caméra qui hésite, filme là où on ne l'attend pas, juste dans l'interstice de l'étrange, celui qui nous met à la fois voyeur et acteur. Le montage aussi va souvent chercher le contraste, les oppositions, et plonge le spectateur dans une interrogation permanente "mais où veut-il nous amener?".  C'est aussi ce qui concourt à rendre crédible un scénario fantastique où les créatures monstrueuses le disputent en atrocité aux humains.

La force du film est dans l'attente et l'humidité d'un univers que l'on ressent, jusque dans le ver de terre que l'on aurait presque finalement envie d'avaler...

Si "Rosemary's baby" est convoqué, c'est qu'il est bien question d'un enfant, de son regard, de son étrangeté et de la force d'un amour qui, pour une fois, ne prend pas le cliché de l'instinct maternel, mais juste un instinct de protection. Tina, dont l'ambigüité sexuelle offre peut-être un des plans les plus surprenants du cinéma de la décennie et une représentation de la sexualité qui l'est tout autant, porte son humanité dans le film. 

Le scénario voudrait nous dire que celle-ci peut triompher mais il reste du film avant tout l'impression d'un étrange voyage en Suède, pays de contes qui a enfin son film humain, à la fois grotesque et touchant, paysage vert et humide compris, visages déformés et organes sexuels revisités.

Ali Abbasi, le réalisateur, est d'origine iranienne, étrange mélange de deux pays, l'Iran et la Suède, la confirmation que les frontières de l'imagination sont poreuses et c'est peut-être là le trouble du film, la sensation d'être en permanence "border".

1h41 minutes pour se laisser troubler, se convertir au ver de terre et avoir envie, peut-être, d'adopter un étrange bébé.

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